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Historias Sudacas

25 juin 2008

Rideau de clôture : River au chaud

Le tournoi de clôture de foot argentin s’est achevé le week-end dernier. Comme dans la plupart des pays sud-américains, le championnat local est divisé en deux tournois, les matches aller et les matches retour, nommés apertura et clausura, ce qui donne donc deux champions par an. Lanús avait gagné le tournoi d’ouverture en décembre dernier. Et c’est finalement River Plate qui arrache le tournoi de clôture, après quatre longues années de disette, remportant son 33è titre national qui accroît encore un peu plus son prestige de club le plus titré du pays.

 

 Pourtant, tout n’a pas été rose pour les rouge et blanc cette saison. Suite à un bon début de championnat, ils ont commencé à broyer du noir à la fin du mois d’avril. Après par un revers surprise sur la pelouse du Rosario Central de Kily Gonzalez (1-2 après avoir longtemps mené au score), ils sont allés se prendre les pieds dans les filets de la Bombonera lors du superclasico contre Boca, avant de se recevoir un énorme passing-shot dans les dents en huitièmes de finale Copa Libertadores, contre le Ciclón de San Lorenzo, autre club de Buenos Aires.

 

 Cette date du 8 mai 2008 va rester gravée au fer à souder dans la mémoire des supportes millionarios. Après avoir perdu 2-1 à l’aller au Nuevo Gasometro, l’antre du Ciclón, River mène 2-0 au retour à la maison, son adversaire est réduit à neuf… Et le drame survient. San Lorenzo , avec deux joueurs en moins, revient à deux buts partout et élimine River devant 80 000 supporters médusés dans un Monumental aussi silencieux que le Maracaña lors de la défaite du Brésil en finale du Mondial de 1950 contre l’Uruguay.

 

  El cuervo (le corbeau, autre surnom du San Lorenzo) laissait la gallina le bec enfoncé dans la pelouse, après ce derby, appelé aussi le « combat d’oiseaux ». En quelques jours, en plus d’avoir vu fondre son avance en championnat, River était honteusement sorti du tournoi le plus prestigieux d’Amérique. La colère des supporters excédés et les conflits internes qui surgissaient n’allaient guère aider le coach Cholo Simeone dans sa mission de conquérir le titre national. Ariel Ortega, le maître à jouer de l’équipe, n’arrivait pas à résoudre ses soucis avec les boissons alcoolisées et se défoulait en battant sa femme. Des joueurs importants de l’équipe-type comme le gardien Juan Pablo Carrizo et le milieu Oscar Ahumada critiquaient le manque d’envie et de motivation d’autres membres de l’équipe. Lors de la réception du Gimnasia La Plata le dimanche suivant, les joueurs étaient accueillis par des jets de maïs et de plumes par leurs propres supporters. Et pourtant…

 

 Après avoir vaincu le Gimnasia, club doyen, River va aller chercher un bon nul sur la pelouse de l’Independiente, un rival direct. Ortega renaît de ses cendres et redevient étincelant. El enano Diego Buonanotte, jeune pousse de 19 ans formé au club, physique d’écrevisse, tête de bambin de CM2 avec la voix de Bart Simpson en bonus, joue de sa vitesse impressionnante et plante des buts décisifs. Dans les cages, Carrizo est dans la place et justifie son titre de meilleur gardien du championnat. River gagne les quatre derniers matches, profite des points perdus dans le même temps par ses principaux poursuivants, Boca Junior et Estudiantes de La Plata, et rafle la mise à une journée de la fin après une victoire 2-1 sur l’Olimpo de Bahía Blanca.

 

  Pour couronner le tout et rendre la victoire encore plus belle, River est sacré champion trois jours seulement après que Boca, le rival éternel, s'était fait sortir en demi-finales de la Libertadores sur la pelouse du club brésilien de Fluminense. Et c’est peut-être pour ses supporters encore plus beau que le titre en lui-même. Car Boca s’était depuis quelques années emparé de l’appellation de « rey de copas » : quand il ne gagnait pas le championnat, il remportait la Libertadores, trophée ô combien prestigieux, et ses supporters pouvaient continuer à chambrer le reste de l’Argentine. Pour la première fois depuis quatre ans, c’est donc au tour des fanáticos de River de pouvoir charrier un peu, preuve en est des nombreux supporters vêtus du maillot de Fluminense lors du match du sacre, montrant être presque plus heureux de l’élimination de Boca que de leur propre titre.

 

 En attendant la reprise du tournoi d’ouverture au mois d’août, ces deux clubs devront se résoudre à voir leurs meilleurs éléments partir pour l’Europe. Comme tous les six mois, une nouvelle vague de départs de grands noms du championnat va traverser l’Atlantique. « Bizness is bizness », et le peso ne fait pas le poids face à l’euro. Il n’y a aucun moyen de retenir les nouveaux joyaux du championnat. Les meilleurs buteurs de la saison, Darío Cvitanich de Banfield et el tanque German Denis de l’Independiente ont signé respectivement pour l’Ajax d’Amsterdam et le Napoli cher à Maradona. Côté Boca, Palacio et Ibarra sont annoncés partants pour le vieux continent, et la rumeur d’un come-back de Riquelme en Europe se fait de plus en plus grande. River perd le meilleur gardien du pays en la personne de Carrizo qui a signé pour la Lazio de Rome, et s’apprête à se séparer de l’attaquant colombien Falcao et du jeune crack Belluschi. Ortega aussi claque la porte, après un conflit ouvert avec les dirigeants. Heureusement, le vivier de jeunes joueurs du champion est inépuisable, et de nouvelles promesses ne devraient pas tarder à éclore. En plus, on annonce des gros retours tels que ceux des internationaux Ayala, Aimar, ou encore Solari. Le traumatisme de la monumentale déroute contre San Lorenzo commence à s’estomper. Le cyclone est passé. Les poules vont pouvoir passer l’hiver au chaud.

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18 juin 2008

Ballons sacrés 2/2

 Dimanche 15 juin, 18 heures. Stade de River Plate. En Argentine, ce sont les meilleurs qui font partie de la sélection. Finie l’époque où Daniel Passarella refusait de convoquer les joueurs ayant les cheveux trop longs. Le coach Coco Basile ne considère que l’aspect footballistique, pas l’astrologique, et bien qu’on ne sache pas ce qu’aurait donné sa team si elle avait joué l’Euro, on peut supposer qu’elle aurait fait mieux que notre piteuse sélection. Le latéral droit, équivalent argentin de François Clerc, c’est le capitaine de l’Inter Milan Javier Zanetti. Quand le maillot du numéro 10 de l’équipe de France est porté par Sydney Govou en France, il est arboré par Riquelme côté argentin. L’ailier gauche français, c’est Florent Malouda. Ici, c’est Leo Messi du Barça, un des cracks du foot mondial. On s’arrêtera là car c’est douloureux. En revanche, niveau affluence, le Monumental de Buenos Aires n’affiche pas complet. Il fait froid, les choripanes –sandwichs aux chorizos locaux- de la buvette sont un peu indigestes, et en plus en face c’est l’Equateur, autant regarder la démonstration de force à la télé en mangeant des empanadas oignons fromage. Ca chantonne dans les tribunes : El que no salta es un inglés ! Mais on ne note que ce n’est pas le même entrain que lors des matches de championnat national ; en effet le fanatique argentin privilégie l’amour de son club de naissance que sa sélection.

 En revanche, ce qui est joli avec le supporter argentin, c’est que même lorsque son équipe est menée au score, il continue de soutenir les joueurs et chante avec encore plus d’allant. C’est le cas lorsque Urrutia ouvre le score pour les équatoriens suite à un contre mené de main de maître, à vingt minutes de la fin. Les supporters visiteurs cloisonnés dans une petite partie du stade commencent à donner de la voix. Si se puede ! Si se puede ! Les tambours se mettent enfin à résonner et à entraîner le stade avec eux.

Vaaamos Argentina
Es un sentimientooo
No puedo parar
Olé olé olé
Olé olé olé ola
Olé olé olé
Cada día te quiero más

       Les minutes défilent, l’exploit devient de plus en plus envisageable. Le potentiel offensif argentin n’arrive pas à faire céder le verrou adverse. Riquelme n’est pas dans son meilleur jour. Messi tricote, rend fous les défenseurs par sa technique d’extra-terrestre, mais il manque la bonne dernière passe. Kun Aguero rate de peu un face-à-face avec le gardien. Lorsqu’à la 89ème, la brujita Veron laisse sa place à l’attaquant de Boca Rodrigo Palacio, le 4è arbitre affiche trois minutes d’arrêts de jeu. Ce sera suffisant pour que la Joya égalise, suite à un dégagement désespéré du pato Abondanzierri, qui trouve la tête du géant Julio Cruz, remisant parfaitement pour Palacio. Anecdote pour les superstitieux, la selección n’a jamais perdu le moindre match avec lui dans l’équipe. Il sauve les siens dans le money time et réussit à garder son statut de « porte chance ». 

         Mais un match nul à domicile face à l’Equateur, malgré une égalisation sur le gong, ça fait cloche, surtout que le classique contre le Brésil arrive dans trois jours. Cependant, on ne s’en fait pas. Pour se qualifier pour le Mondial sud-africain, il faut finir dans les quatre premiers d’une poule où se rencontrent en matches aller-retour tous les pays du subcontinent, et l’Argentine est bien ancrée à la deuxième place. L’important, c’est de bien préparer cette coupe du monde et d’accrocher dans deux ans une troisième étoile sur le maillot pour l’honneur d’un peuple qui aime tellement le football et qui souffre tellement dans la défaite. D’ici là, la grosse échéance, c’est déjà mercredi au Brésil dans le stade Mineirao de Belo Horizonte, où il faudra faire oublier la dernière confrontation entre les deux colosses d’Amérique du Sud, lors de la dernière finale de Copa America qui avait vu l’équipe des coiffeurs auriverdes taper 3-0 la dream team albiceleste.

        Les coéquipiers de Pupy Zanetti  devront mouiller d’avantage leur maillot et montrer plus d’orgueil sur le terrain. Les rugbymen commencent leur match durant les hymnes, soudés, compacts, chantant en cœur, certains laissent échapper des larmes. A la fin du match, même battus, ils saluent leur public et montrent leur fierté de représenter la nation. Les footeux sont eux beaucoup moins expressifs, peu chantent l’hymne, et malgré le demi exploit d’avoir égalisé sur le fil, ne montrent le moindre signe de fêter le point obtenu avec leurs supporters. Au coup de sifflet final, ils rentrent tête basse au vestiaire sans même lever la tête vers les tribunes. Malgré tout, le public sera toujours présent. Vaaamos Argentina, es un sentimientooo, no puedo parar.


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17 juin 2008

Ballons sacrés 1/2

           En Argentine, le sport est une institution. Si le pays a couvé de grands joueurs de tennis et des automobilistes de renom, le collectif prime avant tout. Ce n’est pas un secret, le ballon rond éclipse les autres pratiques sportives. Il existe à Buenos Aires une Eglise dont la religion officielle consiste à vouer un culte au Dieu Diego. Un cimetière a été créé spécialement à l’attention des fanatiques du Boca Junior, pour éviter un phénomène grandissant, qui voyait les cendres de fanatiques défunts répandues par leurs proches sur la pelouse les jours de match, et qui détérioraient la qualité du gazon. Dans les salles de sport, il est commun de voir dans les vestiaires de gros tatouages sur le torse ou les bras d’hommes de tout âges, représentants les écussons de leur club de toujours. Le football est roi. Son valet, le rugby, n’a désormais plus rien à lui envier. L’équipe nationale, les Pumas, a donné une leçon à l’Europe entière lors de la dernière coupe du monde. L’Irlande, l’Ecosse, et la France –par deux fois- se sont fait corriger par une équipe qui n’a pas la chance de jouer des tournois annuels majeurs, et dont les joueurs ont beaucoup moins l’occasion de rôder leurs automatismes. Ces pumas héroïques retrouvaient ce week-end leurs terres pour renouer avec leur public et montrer aux Ecossais qu’ils étaient toujours les patrons depuis leur quart de finale du Mondial au Stade de France. Quant à la sélection de foot, elle affrontait dans le même week-end l’Equateur dans le cadre des éliminatoires du Mondial 2010. Plongée dans le monde du ballon albiceleste.

 Samedi 14 juin, 16 heures. Stade du Velez Sarsfield. Enceinte comble, quarante mille spectateurs pour soutenir une sélection privée de la plupart de ses cadres (Pichot, Hernandez, Corletto et compagnie) encore en Europe pour terminer leur saison dans leurs clubs, mais avec une bonne base de joueurs présents lors du bronze mondial d’octobre dernier, emmenée par Felipe Contepomi qui dispute son dernier match international, et quelques jeunes pousses évoluant encore au pays. Tout le monde s’attend à la confirmation du succès de la semaine dernière lors du premier test match de la série, remporté à Rosario face à ces mêmes Ecossais. Le début de match est poussif, les Pumas accumulent les fautes, les Ecossais restent bien en place. A la mi-temps, le score est de 0-16 en faveur du XV du Loch Ness, qui s’appuie sur défense de fer, un pack agressif et le jeu au pied impeccable de Chris Patterson qui transforme tout ce qui se présente. Côté argentin, le manque d’automatismes se fait sentir, et malgré des griffes mieux aiguisées en deuxième mi-temps, les locaux peinent à revenir dans le match. Malgré un essai rageur de Fernandez Lobbe, les pumas attaquent sans grand entrain et se font surprendre par un contre assassin qui voit Morrison finir sa magnifique course par un plongeon olympique entre les poteaux. Le bruit de la cornemuse ne sera pas caché par celui du clairon sonné par Agulla, qui marque un essai pour l’honneur dans les arrêts de jeu.14-26, la cabane est tombée sur le puma. Les joueurs du chardon viennent de remettre les pendules à l’heure et peuvent savourer cette victoire, la première face à l’Argentine depuis 18 ans. Les Pumas se rendent aussi compte de leurs limites, et de la nécessité d’intégrer un des deux grands tournois internationaux (le Tri Nations avec les pays du Sud ou les Six Nations avec ceux du Nord) pour maintenir leur niveau de la Coupe du Monde française.

 Malgré la défaite et l’absence des grands noms du XV argentin, le public aura été au rendez-vous, le stade du Velez étant rempli et bouillant durant quatre-vingt minutes, soutenant son équipe même lorsqu’elle frôlait le ridicule à la mi-temps. Le « phénomène rugby » qui s’était emparé du pays lors du Mondial ne s’est pas éteint et la culture du jeu à quinze ne disparaîtra pas malgré la défaite. Et puis ce n’est somme toute qu’un match amical et le ballon est ovale. S’il peut y avoir des surprises en rugby, il ne devrait quand même pas y avoir photo en foot demain contre l’Equateur.

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27 mai 2008

Bichos de ciudad - Bestioles de ville

Les rues de Buenos Aires recèlent de voitures aux couleurs noire et jaune. Plus de la moitié des quatre roues de la ville sont parées de ces mêmes couleurs. Pourquoi sont-elles ici tant à la mode ? Les automobilistes ont tous été marqués par le film « Kill Bill » ? Il faudrait peut-être le leur demander, mais ils sont en réalité tous liés par autre chose : un petit panneau sur le toit, orné de quatre lettres et d’une petite lumière, verte ou rouge. A Buenos Aires,  on dénombre un taxi pour 70 habitants. En guise de comparaison il y en a seulement un pour 680 habitants à New York. Quarante mille abeilles qui circulent à longueur de journée dans une des plus grandes ruches du monde.

            Avoir une voiture ici, ça revient très cher, et ça n’est pas forcément un signe de commodité ni de gain de temps : pour traverser la ville avec un état de trafic normal on tarde environ une heure. La plupart des gens prennent le bus mais la aussi le trajet est souvent très long surtout si on doit changer de colectivo durant son parcours. Il existe bien cinq (vétustes) lignes de métro mais  elles ne conviendront pas à tout le monde : il s’agit de quatre lignes parallèles qui rejoignent toutes le microcentro et qui croisent à l’extrême est de la ville une cinquième ligne qui joint les deux gares de Constitucion au sud et de Retiro au Nord. Donc si on veut aller au centre –mais qui est en réalité l’est de la ville- c’est pratique, sinon on est une fois de plus sur le carreau. Donc quand on est pressé ou qu’on veut se déplacer dans la nuit portègne, on a souvent recours aux taxis de la capitale.

            Qui dit taxi, dit conducteur. Pas de Robert de Niro ni de Samy Nacéri à Buenos Aires, mais des personnages hauts en couleurs qui ont chacun leur histoire et leur club de football imprégnés au plus profond d’eux-mêmes. Si on est étranger, on peut rapidement classer les chauffeurs de taxi en deux catégories : celui qui est enchanté de vous recevoir sur ses terres et qui va vous emmener de bon cœur d’un point A à un point B en vous vantant toutes les qualités de son pays et vous abreuvant d’anecdotes ou de conseils ; ou celui qui va faire le maximum pour vous faire cracher pleins de petits pesos, et vous faisant faire un joli détour, ou encore en trafiquant le compteur pour faire monter plus vite les enchères. Heureusement, on compte quand même beaucoup plus de chauffeurs à ranger dans la première catégorie. Cependant lorsqu’on rentre dans le véhicule il est fortement conseillé de donner l’angle des rues proche de l’endroit ou l’on veut se rendre, plus la direction d’une grande avenue à emprunter, ce qui oblige votre chauffeur à suivre un petit carnet de bord et qui l’empêchera de vous trimballer là où bon lui semble.

            Ces chauffeurs, bons ou mauvais, ce sont des hommes de tous bords, de toutes origines - napolitaines, génoises, siciliennes, galiciennes, aragonaises, basques, polonaises,…- avec chacun leur passé enfoui, souvent douloureux, du rescapé de la guerre des Malouines au commerçant ayant connu la faillite lors de la crise économique de 2001, en passant pas l’ancien chauffeur d’autocar lassé par les grands voyages. Des hommes qui défendront plus que jamais leur pays en vous disant que c’est le plus beau du monde avec toutes ces variétés de paysages, la saveur de ses viandes que l’on ne trouve nulle part ailleurs, les plus belles femmes de la planète et les meilleurs sportifs de l’histoire: le dieu Maradona, le mythique pilote de formule un Juan Manuel Fangio, le légendaire tennisman Guillermo Vilas, les sélections de hockey sur gazon féminin ou de basket, championnes olympiques en titre… Mais aussi des hommes qui rabaisseront leur pays plus bas que terre, en traitant leurs compatriotes d’abrutis qui ne voient pas plus loin que les exploits sportifs des leurs pour se rendre compte que le pays n’avance plus depuis cinquante ans, que sa situation économique est désastreuse, qu’il n’a jamais connu une vraie stabilité politique, et que ses dirigeants sont des corrompus qui ne feront jamais rien pour résoudre les problèmes latents de leurs concitoyens. Des hommes fidèles jusqu’à la mort aux couleurs du Racing, de River, de Boca, de San Lorenzo ou de l’Independiente qui vous démontreront tout au long du chemin pas forcément pourquoi leur club est le meilleur, mais pourquoi il possède le meilleur public. Au final, ce sont des hommes qui vous laisseront toujours à bon port et qui repartiront sans le moindre répit butiner dans un autre coin de la ville. Quarante mille: c’est justement le nombre moyen d’abeilles ouvrières dans une ruche…

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19 mai 2008

Grand Pays Malade

            "Les voyages en train", comme le slamait Grand Corps Malade, les Argentins ne connaissent pas vraiment. Du moins, ils en ont perdu l’habitude. On compte le nombre de voies ferrées sur les doigts des pieds. Si l’on veut traverser ce pays, d’une superficie cinq fois plus importante que la France, on se débrouille comme on peut, et on se prépare à de longues heures de covoiturage ou de car. Pourtant ce ne fut pas toujours comme ça. Durant 150 ans, les ouvriers cheminots construisirent à la sueur de leur front ce qui allait être le système nerveux de l’économie nationale. Toutes les grandes capitales de province furent peu à peu reliées par le train, qui revenait de plus à un tarif relativement bas pour les usagers. Jusqu’à l’élection en 1989 de l’illustre Carlos Menem comme Président de la République. Celui qui allait gouverner le pays durant toute la dernière décennie du 20ème siècle allait ruiner tout ce qui avait été construit peu à peu depuis la création de l’Etat argentin en 1810. En quelques années, Menem allait tout simplement vendre le pays tout entier en impulsant à un train d’enfer une vague de privatisations. Tout y passe, en premier lieu les compagnies nationales pétrolière, aérienne, et bien évidemment ferroviaire. Aujourd’hui il ne reste plus que 10% des voies ferrées que le pays comptait avant la décennie ménémiste. Et ce qui reste de ce vestige du passé argentin fait bien plus figure de restes archéologiques qu’autre chose. Le train qui relie Buenos Aires à la Plata ferait frissonner plus d’un conducteur de train fantôme de n’importe quelle fête foraine. L’air de l’extérieur entre au travers des vitres fissurées, des bancs en fer rouillé font office de fauteuil, les murs sont couverts d’inscriptions d’insultes ou de soutien à des clubs de football, et lorsque l’engin s’arrête à votre station, il vous faut d’abord bien vérifier où vous êtes en regardant par la fenêtre où se cache le nom de votre ville d’arrivée, car si l’on est dans les wagons du fond on n'entend pas le chauffeur hurler le nom de l’arrêt. Une fois arrivé, si vous ne voulez pas sortir de la gare de Constitución en kilt, il vous est conseillé de faire le profil le plus bas possible.

            Pour résoudre ces petits tracas, la nouvelle présidente Cristina Kirchner a eu une lumineuse idée : finie la galère, place au  Tren Bala. Il y a quelques mois, l’ancienne première dame venait de prendre le fauteuil de son mari et signait avec la France et Alsthom des accords pour commencer la construction en Argentine d’une voie ferroviaire qui accueillerait un train à grande vitesse cher à notre beau pays. Il relierait Buenos Aires aux deux autres grands pôles économiques importants du pays, Rosario et Córdoba, et à la ville balnéaire de Mar del Plata. Coût du chantier : 5 milliards de dollars qui ne risquent pas d’aider à diminuer la colossale dette externe du pays. Un train qui en outre ne va pas apporter grand-chose à un habitant de Salta, de Neuquèn, de Posadas ou de Bahía Blanca : le Tren Bala ne passera que par 4 villes centralisées dans une même grande zone. Et pour un habitant lambda de Buenos Aires, un aller simple pour partir un week-end se dorer la pilule à Mar del Plata reviendra à la modique somme de 500 pesos, c’est-à-dire environ 100 euros pour parcourir 400 kilomètres à toute berzingue. Sachant que le salaire moyen d’un ouvrier ou d’un fonctionnaire varie entre 1200 et 1500 pesos, on peut se risquer à supposer que le Tren Bala ne va modifier en rien le train-train quotidien du citoyen argentin. Cet investissement gigantesque, qui n’est pas encore prêt de voir le jour, compte tenu de l’ampleur du chantier et de la lenteur légendaire des procédures en Argentine, sera donc réservé à une élite de la population, et aura beaucoup de mal à voir ses wagons se remplir. Allez prononcer les mots « Tren Bala » à l’intérieur du vétuste Buenos Aires – La Plata, vous allez entendre rire jaune. Heureusement que l’Argentin a le sens de l’humour. D’ailleurs beaucoup vous diront que ce projet pharaonique ne verra sûrement jamais le jour. En attendant, ils auront le temps de méditer sur la dernière phrase du slam de Grand Corps Malade.

Car une chose est certaine y'aura toujours un terminus ; maintenant tu es prévenu, la prochaine fois, tu prendras le bus.

Pour appuyer le projet d'un train plus économique et qui profite à tous: http://www.trenparatodos.com.ar/

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10 mai 2008

Carnaval toda la vida

          La Bombonera no tiembla : late. La Bombonera ne tremble pas : elle vibre. Sensations garanties. La Bombonera, ce n’est pas une attraction à la mode de DisneyLand ou de la Foire du Trône, c’est bien moins sophistiqué et beaucoup plus sensationnel. C’est un stade de football, celui du club le plus populaire d’Argentine, et ce de source sûre. Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme le public de Boca Junior la mitad más uno. Selon la légende, la moitié du pays plus une personne, soutient les bosteros, les boquenses, les xeneizes (traduction en argot de « génois », car la plupart des immigrés qui vinrent peupler le quartier il y a plus de cent ans étaient originaires du grand port italien), le club au couleurs bleues et jaunes, similaires à celles du drapeau suédois hissé sur un bateau qui débarqua au début du 20ème siècle dans le port de la Boca, quartier sud de Buenos Aires, et qui inspira les dirigeants du club en manque d’imagination pour trouver un coloris à leur maillot. Pour l’anecdote, bombonera signifie bombonière, le stade vu des air(e)s ressemblant à une boîte à bombons…

            En 2004, le magazine anglais The Observer dresse le classement des 50 évènements sportifs que l’on se doit de voir une fois dans sa vie. Numéro un : assister à un superclasico Boca-River à la Bombonera. Il fallait donc aller vérifier cela sur place. D’autant plus que l’enjeu pour le championnat est majeur. A sept journées de la fin du championnat, River Plate, le rival historique de Boca, est leader du championnat avec quatre points d’avance sur son ennemi juré. Las  gallinas -les poules- comme sont surnommés péjorativement les joueurs du River, en raison des couleurs de leur maillot, blanc paré d’une bande rouge, arrivent en forme à la Bombonera, et ils n’ont pas été battus depuis plus de 1000 jours par les xeneizes. Une éternité. Sur le terrain, des grands noms sont présents. A la baguette de Boca, Juan Román Riquelme, meilleur meneur de jeu du club depuis l’époque du grand Diego Maradona. Après quelques saisons passées en Europe -au Barça où il déçut, et à Villareal où il apparut sous un meilleur jour, emmenant presque à lui seul ce modeste club en demi-finale de la Ligue des Champions en 2006- ce grand nostalgique a décidé de poursuivre sa carrière au pays. En face, le numéro 10 de River fait aussi partie de la catégorie des successeurs de Diego. Ariel el burrito Ortega, après avoir lui aussi connu une expérience en demi-teinte en Europe (Valence et le Fenerbahçe de Turquie) finit sa carrière dans le club de son cœur, entraîné par el cholo Simeone, grand milieu défensif de la décennie passée, plaque tournante de l’Atletico de Madrid, de la Lazio de Rome puis de l’Inter de Milan.

            Cela fera bientôt un siècle que les deux clubs cultivent leur rivalité. Ils sont les deux plus supportés du pays, bien loin devant les trois autres « grands » du football argentin, l’Independiente, le Racing Avellaneda et le San Lorenzo de Almagro. Ce sont aussi les deux palmarès nationaux les plus éloquents. Boca, c’est 22 titres de champion d’Argentine, 6 copas Libertadores (l’équivalent sud-américain de la Champions League européenne), et 3 coupes intercontinentales. River comptabilise pas moins de 32 titres de champion national, 2 copas Libertadores, et une coupe intercontinentale remportée en 1986. Ces dernières années,  Boca compte plus de succès que son voisin, même si les « grands » se font de plus en plus souvent voler la vedette par des clubs plus modestes comme Estudiantes de la Plata ou Lanus, deux des derniers champions. Cependant, quelconque amateur de ballon rond sur la planète sait pertinemment qu’en terme d’adrénaline et de spectacle, rien n’est comparable à un superclásico.

            A l’entrée des joueurs sur la pelouse, en ce dimanche après-midi d’automne ensoleillé, un vacarme assourdissant retentit. Ce n’est pas un orage, ce sont les chants de la Doce, les membres des ultras de la Boca qui font trembler toute la tribune nord. La tribune sud puis tout le stade suivent et reprennent en cœur les chansons de la gloriosa numero doce.

Boca, mi buen amigo,

Esta campaña volveré a estar contigo

Te alentaremos, de corazón

Esta es tu hinchada que te quiere ver campeón

No me importa lo que digan,

Lo que digan los demás

Yo te sigo a toda parte

Cada vez te quiero más

            Un immense drapeau bleu et jaune recouvre l’intégralité de la tribune. Les papelitos et les ballons de baudruche bleu et jaune donnent au stade des allures de carnaval. Le début du match est repoussé de dix minutes pour nettoyer la pelouse envahie de papiers. En bas de la tribune sud, il faut mettre sa capuche pour éviter de recevoir sur la tête les jets de bouteilles remplies d’urine que lancent depuis tout en haut les ultras de River, échaudés d’avoir vu leurs joueurs accueillis par des jets de plumes et de maïs à la sortie du car. Battaglia ouvre le score de la tête sur un corner de Riquelme. Le stade exulte, 50 000 spectateurs commencent à chambrer les 5000 téméraires supporters du River qui ont fait le déplacement.

Las gallinas són así,

Son las amargas de la Argentina

Cuando no salen campeón,

Esas tribunas están vacías

Yo soy de Boca señor,

Cantemos todos con alegría

Aunque no salgas campeón,

Mi sentimiento no se termina

Y dale bo, y dale dale boca,

Y dale bo, y dale dale bo…

            Ils devront se résoudre à repartir du stade bien tristes. Une seule occasion en 90 minutes, une tête au-dessus de l’Uruguayen Abreu, c’est trop peu pour s’imposer à la Bombonera. Score final : Boca 1, River 0. Pendant plus d’une demi-heure, après le coup de sifflet final, le stade va rester rempli : la fête continue, les chants se multiplient, tout le monde bouge dans tous les sens, seules les tribunes restent immobiles. Mais on ressent quelque chose de particulier, qu’on ne perçoit pas ni au Nou Camp de Barcelone, ni à Anfield Road, le stade de Liverpool : le stade vibre. Les mouvements de mains de chacun des supporters semblent parfaitement coordonnés, et c’est comme si on entendait qu’une seule voix sur le terrain.

¿Por qué será

que te sigo a todas partes Campeón?,

¿por qué será
que no sé vivir sin vos?,
Carnaval toda la vida, el xeneize es la pasión,
si no te veo se me parte el corazón.

            Boca n’est plus qu’à un point des leaders du championnat, et est toujours en course pour  garder son titre de champion de la Libertadores. La boîte à bombons peut continuer d’exploser.

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25 avril 2008

Toutes les fumées, la fumée

            « Tous les feux le feu ». Tel est le nom d’un recueil de nouvelles de l’illustre Julio Cortázar, auteur argentin du 20ème siècle. Et en ce moment, il est beaucoup question de feu en Argentine. Ou plutôt de fumée. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu, il n’a pas de feu sans fumée. C’est cet adage que doivent ruminer ces jours-ci les treize millions d’habitants de Buenos Aires et de sa banlieue. Car depuis maintenant plus d’une semaine, les porteños ont commencé à prendre la désagréable habitude, en ouvrant leur fenêtre au réveil, de voir leur ville engloutie sous un immense et épais nuage de fumée, qui empêche de voir à quelques mètres, et qui en sortant dans la rue, vous agrippe par la gorge, par le nez, par les yeux.

            D’où vient ce nuage qui irrite tant les sinus et surtout l’humeur des habitants de la capitale argentine ?

            Il ne s’agit pas de la fumée dégagée par la parrilla géante (barbecue local) organisée il y a peu chez le voisin uruguayen, de l’autre côté du Río de la Plata. On peut accuser l’uruguayen de tous les maux du monde, notamment de vouloir contaminer l’eau et la végétation argentine, depuis la construction et la mise en fonctionnement très critiquée d'une usine de traitement du papier sur le bord du fleuve Uruguay, qui sépare les deux pays, en face de la ville argentine de Gualeguaychu. Mais, pour une fois, ce n’est pas le voisin qui est responsable de cette vague de pollution majeure qui envahit une partie du pays.

            On ne peut pas non plus mettre l’origine de cet étrange phénomène sur le dos de la flamme olympique, de passage récemment dans les rues de Buenos Aires. En effet, le parcours de la flamme a beaucoup moins fait fumer la polémique que lors de son expédition en Europe : ici pas d’extincteurs, d’arrosoirs, de porteuse de flamme chahutée sur son fauteuil roulant, ni de judoka excédé. On entendait certes quelques timides « Free Tibet » ressortir au milieu de la foule; on a également assisté à un discours d’un comité de défense des droits de l’Homme, qui rappelait qu’il y a trente ans, quand se déroulait en Argentine la 11ème coupe du monde de football, peu de monde se souciait des milliers de personnes enlevées et torturées par la sanglante dictature en place au pouvoir à l’époque ; d’où le devoir de mémoire et de solidarité envers les libertés bafouées où que ce soit dans le monde…

            Mais revenons à nos saumons. Fumer est, contrairement en France, encore autorisé dans la plupart des lieux publics, et on note clairement le malaise que peut causer cette différence. Mais non, les fumeurs des restaurants, bars, clubs, et des universités n’ont rien à voir eux non plus avec l’apparition de ce nuage apocalyptique.

            Alors, nom d’une pipe, d’où provient donc toute cette fumée ? Dévoilons enfin le pot-au-feu, je veux dire, le pot aux roses. A une centaine de kilomètres au nord de la capitale argentine, dans la province d’Entre Ríos, des agriculteurs ont tout simplement pris la décision d’incendier des milliers d’hectares de pâtures, selon leurs dires afin de renouveler plus rapidement les terres cultivables, ce qui constitue, soulignons-le, une pratique courante depuis des lustres. Cependant, cette année, les effets de ces incendies ont pris des proportions inattendues. La forte sécheresse, inhabituelle pour l’époque, a aidé le feu à se propager, et le vent tourbillonant s’est chargé de dissiper la fumée, à l’ouest sur la ville de Rosario qui goûte toujours aux délices de ce nuage, au sud sur Buenos Aires et La Plata – autre grande ville située quelques 80km plus bas-, et  à l’est sur Montevideo, capitale de l’Uruguay qui se réveillait la semaine dernière sous le même nuage contaminateur.

            Les dégâts causés par cette fumée sont importants. D’abord des tas de cas d’intoxications et de malaises en tous genres. Et puis des accidents de la route, dûs au manque de visibilité : multiples chocs entre voitures, camions, autobus, pleins de blessés et des morts. Des routes fermées, des aéroports et des gares routières fonctionnant au ralenti. Tout celà n’est pas prêt de s’arrêter, étant donné que les incendies ont repris ces derniers jours de plus belle, malgré la montée au créneau –tardive- du gouvernement pour condamner ces actes criminels. Il ne s’agissait donc pas d’un simple feu de paille…

            Rajoutons à cela que depuis plusieurs semaines, le gouvernement et les agriculteurs sont engagés dans un conflit politique enflammé. Tout est parti d’une décision de la Présidente Cristina Kirchner d’augmenter les « rétentions » des gains de la production de l’agriculture et de l’élevage. Pour faire simple, la rétention, c’est-à-dire la part que l’état prend au producteur, va désormais s’adapter aux bénéfices de l’agriculture. S’ils augmentent, la rétention augmentera également du même pourcentage. Cette décision a mis le feu aux poudres : grands propriétaires terriens pas contents, blocages de routes pour stopper l’approvisionnement des villes en nourriture, manifestations, affrontements dans la rue entre agriculteurs et sympathisants de Cristina… Nous sommes actuellement dans une période de trêve, qui arrive bientôt à sa fin, durant laquelle les deux camps sont censés réfléchir à un compromis.

            En attendant, les foyers d’incendie se multiplient. Il devient de plus en plus évident que certains agriculteurs malintentionnés prennent un malin plaisir à répandre le feu pour continuer à faire pression sur le gouvernement, en molestant des millions de leurs concitoyens et en ravivant la flamme de la discorde. Le calumet de la paix est pour l’instant bien enfoui sous la terre. De là à dire que c’est un beau bordel dans ce pays, il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons pas aujourd’hui.

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