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Historias Sudacas
25 avril 2008

Toutes les fumées, la fumée

            « Tous les feux le feu ». Tel est le nom d’un recueil de nouvelles de l’illustre Julio Cortázar, auteur argentin du 20ème siècle. Et en ce moment, il est beaucoup question de feu en Argentine. Ou plutôt de fumée. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu, il n’a pas de feu sans fumée. C’est cet adage que doivent ruminer ces jours-ci les treize millions d’habitants de Buenos Aires et de sa banlieue. Car depuis maintenant plus d’une semaine, les porteños ont commencé à prendre la désagréable habitude, en ouvrant leur fenêtre au réveil, de voir leur ville engloutie sous un immense et épais nuage de fumée, qui empêche de voir à quelques mètres, et qui en sortant dans la rue, vous agrippe par la gorge, par le nez, par les yeux.

            D’où vient ce nuage qui irrite tant les sinus et surtout l’humeur des habitants de la capitale argentine ?

            Il ne s’agit pas de la fumée dégagée par la parrilla géante (barbecue local) organisée il y a peu chez le voisin uruguayen, de l’autre côté du Río de la Plata. On peut accuser l’uruguayen de tous les maux du monde, notamment de vouloir contaminer l’eau et la végétation argentine, depuis la construction et la mise en fonctionnement très critiquée d'une usine de traitement du papier sur le bord du fleuve Uruguay, qui sépare les deux pays, en face de la ville argentine de Gualeguaychu. Mais, pour une fois, ce n’est pas le voisin qui est responsable de cette vague de pollution majeure qui envahit une partie du pays.

            On ne peut pas non plus mettre l’origine de cet étrange phénomène sur le dos de la flamme olympique, de passage récemment dans les rues de Buenos Aires. En effet, le parcours de la flamme a beaucoup moins fait fumer la polémique que lors de son expédition en Europe : ici pas d’extincteurs, d’arrosoirs, de porteuse de flamme chahutée sur son fauteuil roulant, ni de judoka excédé. On entendait certes quelques timides « Free Tibet » ressortir au milieu de la foule; on a également assisté à un discours d’un comité de défense des droits de l’Homme, qui rappelait qu’il y a trente ans, quand se déroulait en Argentine la 11ème coupe du monde de football, peu de monde se souciait des milliers de personnes enlevées et torturées par la sanglante dictature en place au pouvoir à l’époque ; d’où le devoir de mémoire et de solidarité envers les libertés bafouées où que ce soit dans le monde…

            Mais revenons à nos saumons. Fumer est, contrairement en France, encore autorisé dans la plupart des lieux publics, et on note clairement le malaise que peut causer cette différence. Mais non, les fumeurs des restaurants, bars, clubs, et des universités n’ont rien à voir eux non plus avec l’apparition de ce nuage apocalyptique.

            Alors, nom d’une pipe, d’où provient donc toute cette fumée ? Dévoilons enfin le pot-au-feu, je veux dire, le pot aux roses. A une centaine de kilomètres au nord de la capitale argentine, dans la province d’Entre Ríos, des agriculteurs ont tout simplement pris la décision d’incendier des milliers d’hectares de pâtures, selon leurs dires afin de renouveler plus rapidement les terres cultivables, ce qui constitue, soulignons-le, une pratique courante depuis des lustres. Cependant, cette année, les effets de ces incendies ont pris des proportions inattendues. La forte sécheresse, inhabituelle pour l’époque, a aidé le feu à se propager, et le vent tourbillonant s’est chargé de dissiper la fumée, à l’ouest sur la ville de Rosario qui goûte toujours aux délices de ce nuage, au sud sur Buenos Aires et La Plata – autre grande ville située quelques 80km plus bas-, et  à l’est sur Montevideo, capitale de l’Uruguay qui se réveillait la semaine dernière sous le même nuage contaminateur.

            Les dégâts causés par cette fumée sont importants. D’abord des tas de cas d’intoxications et de malaises en tous genres. Et puis des accidents de la route, dûs au manque de visibilité : multiples chocs entre voitures, camions, autobus, pleins de blessés et des morts. Des routes fermées, des aéroports et des gares routières fonctionnant au ralenti. Tout celà n’est pas prêt de s’arrêter, étant donné que les incendies ont repris ces derniers jours de plus belle, malgré la montée au créneau –tardive- du gouvernement pour condamner ces actes criminels. Il ne s’agissait donc pas d’un simple feu de paille…

            Rajoutons à cela que depuis plusieurs semaines, le gouvernement et les agriculteurs sont engagés dans un conflit politique enflammé. Tout est parti d’une décision de la Présidente Cristina Kirchner d’augmenter les « rétentions » des gains de la production de l’agriculture et de l’élevage. Pour faire simple, la rétention, c’est-à-dire la part que l’état prend au producteur, va désormais s’adapter aux bénéfices de l’agriculture. S’ils augmentent, la rétention augmentera également du même pourcentage. Cette décision a mis le feu aux poudres : grands propriétaires terriens pas contents, blocages de routes pour stopper l’approvisionnement des villes en nourriture, manifestations, affrontements dans la rue entre agriculteurs et sympathisants de Cristina… Nous sommes actuellement dans une période de trêve, qui arrive bientôt à sa fin, durant laquelle les deux camps sont censés réfléchir à un compromis.

            En attendant, les foyers d’incendie se multiplient. Il devient de plus en plus évident que certains agriculteurs malintentionnés prennent un malin plaisir à répandre le feu pour continuer à faire pression sur le gouvernement, en molestant des millions de leurs concitoyens et en ravivant la flamme de la discorde. Le calumet de la paix est pour l’instant bien enfoui sous la terre. De là à dire que c’est un beau bordel dans ce pays, il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons pas aujourd’hui.

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Commentaires
C
Ta soeur à raison, fais attention!! (oui je sais y'a pas de jeu de mot)
L
Ne te laisse pas rôtir avant d'avoir pu passer à la télé, ce serait fort fâcheux...
L
Sur ce coup, Gringoal atteint son but : voir clair dans un milieu enfumé.
Historias Sudacas
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